Serge Gainsbourg

Je suis monté à Paris en 1976. Paris !

Venais pas de loin, non. Mais la banlieue, la grande banlieue, c’est déjà le désert après le périf. Des pavillons dorés, les terrains vagues, les rails brillant des trains. Comme des fils magiques menant vers l’inconnu, comme un théâtre en pierre de Molière. Un départ.Ça commençait comme ça Paris.

Un autre monde Saint-Germain-des-Prés. Le nom seul était une promesse UP4
(Unité pédagogique N°4), Beaux-Arts, architecture Quai Malaquais. Pourquoi pas ? J’aurais pu tout aussi bien m’inscrire ailleurs. UP6 ? Castro ? Le grand architecte de la banlieue et des quartiers sensibles. Je n’y connaissais rien. Mais l’UP était à la Villette, alors non. Seul Saint-Germain-des-Prés résonnait dans ma tête. Le quartier germanopratin de Boris Vian. Le manuel de Saint Germain des Prés était devenu mon dictionnaire.
Et puis, il y avait Gainsbourg, juste de l’autre coté de la rue des Saint-Pères, à la limite du quartier, 5 bis rue Verneuil. Vian est Mort ! Vive Gainsbourg !

Un jour où j’allais comme, sonner à sa porte vers 17 ou 18 heures. Pour être sûr de ne pas le réveiller. Pour être sûr. La porte s’ouvre. Gainsbourg en peignoir blanc, il m’a regardé. Entre deux nuages. Moi comme un pauvre con, mon scénar à la main, « petit, je fais la musique des films quand ils sont tournés. Tourne ton film. Reviens me voir. » La voix en mineur, sans méchanceté. Et moi à peine adulte, il m’apprenait. Juste la règle du jeu. La règle du je. J’étais encore dans les nuages. Un serveur surgit comme un petit lapin d'un chapeau.
Cocktails acrobates sur un plateau argenté. Des bulles. Des fruits. Des couleurs qui font mal. C’était pour lui. Moi j’étais juste le vent dans la porte. Pendant des années, j’ai été au café buraliste de la rue des Saint-Pères acheter mes gauloises sans filtre en espérant le croiser. En vain 26-27-28 décembre 1979 Gainsbourg etc..Le concert au Palace c’est là que j’ai fais la photo. Des années plus tard,  dans un livre de photo de Tony Frank j’ai vu le contre champ. Avec ma gueule de poupon mal dégrossie. Mon boitier a l’œil. Dans la foule.
Des soirs. Comme pour frimer. On allait rue Fontaine. Au bus Palladium jouer au flipper du 1er étage. On allait écouter les Beatles. Mais on ne l’a jamais croisé.

Plus tard, on allait en bas des Champs à l’Elysée Matignon. Enfin, on y allait. Mais, on n’a jamais réussi à rentrer. Un Cerbère à tête en forme de molosse nous barrait le chemin. Alors un soir, n’en pouvant plus. On a repris le manuel de Boris Vian. Dans un journal derrière un buisson du petit parc au début de la rue de Matignon.

1/ On a tous chier dans un journal.
2/ On la posé devant la porte de l’Elisée Mat…Comme ils disent.
3/ On a mis le feu.
4/ On a sonné
5/ On s’est planqué pour assister au spectacle. Le molosse a ouvert, a piétiné le journal pour éteindre l’incendie.
Metteur en scène de nos nuits obscènes.
J’ai revu Gainsbourg que trente ans plus tard à Saint-Denis sur le tournage de Jean de Florette.
Il était là, sur le plateau d’à côté à tourner une pub, venu saluer Claude Berri entouré d’une ribambelle de silhouettes sans parfums.
Il s’est arrêté, a contourné le gros projecteur, celui qui éclairait la photo de la découverte, un faisceau blanc, comme une révélation dans la nuit du plateau. Les autres ont traversé la lumière, leurs ombres ont sali la prise. Ils sont passés, mécaniques, inconscients. Lui s’est tourné m’a regardé, un éclat bref, un sourire léger comme une note perdue.
Il a dit excusez-moi. juste ça en glissant entre deux souffles et puis il est reparti vers Claude Berri.

Vian et Gainsbourg se sont croisés dans une rime mais ils n’ont jamais chanté ensemble. Pourtant on peut commencer l’un et finir l’autre comme une cigarette rallumée avec un mégot d’avant-hier
Je bois à trop forte dose.
Je bois sans y prendre plaisir
je vois des éléphants roses
Je bois pour être saoul pour ne plus voir ma gueule.

 

Franck Landron

Boris Vian me tenait par la main

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