GHOST


Serie


GHOST

















The intimate essence of existence

text by Christine Delory-Momberger

Faces.Seen through time, on life’s edge. Flashing past, speeded up, suspended. Glances. Presences. Never quite the same yet always recognizable. Constructing a story we have somehow to follow. Revealing something intimate we have somehow to get close to. Something deep down and sensitive. The faces force themselves upon us. Remind us of our own faces, gaze at us, worry us, move us, shake us.

Who are they  ? An adolescent with curly hair is the first in the gallery of self-portraits by Franck Landron. Staring straight at us, this boy is at the dawn of his adult life which Franck will unfold in a series of images presented in diptych, interspersed with the faces of children. The following image shows him with his head shaven in the picture on the right, and on the left-hand picture lies a little pile of hair. Like a rite of passage. The threshold between the adolescent he was and the adult he had to be become must somehow be crossed. And there he is, in the next image, with the power that only comes with age, seated in a position and in a style that comes with experience. The adolescent beside him looks away, he’s now just a memory. The blurred, altered, scratched variations of the face with the shaven head come and go like so many hesitations as he tries to trace his path through the moves life forces him to make. And you do have to move on. And now come the first pictures of the photographer, facing himself in a mirror image on the double page, holding one of his cameras. The child signs at him, reminding him of his existence. Passing time cannot delete the trace of him. The adolescent, the adult retain his memory. He still haunts them. We also see a young man gaining in assertion, posing, playing with his image. A photo endlessly repeated in different versions right through the book. And which tells us when he holds a lighter from which a long flame emerges that light is the key issue in his life. Later on, an image cut at the waistline, shows Franck with his camera. It is detached from the rest, the only one like this. He’s not just a face any more, he’s an advancing body.

Later come stretched, elongated, dissimilar faces, as if reflected in distorting mirrors hung on the walls of the tunnel of a ghost train. A jaw with deathly fangs refracts the unfolding images, puts them in suspension. The hair plays a role: bushy, fuzzy, cut, shaven, sculpted, it accompanies the slow transformations of the human being. Those invisible, silent, insidious and continuous ones. Transformations suddenly apparent, after a long glance into a mirror, on some special occasion, when the routine is broken.

All these faces pose the question about the Familiar and the Other. How do we stay connected with an intimate friend devoured by passing time  ? How do we recognize the face we suddenly see reflected when it jolts and shatters the internal face held in our memory  ? It was a reassuring face, either because I liked it or because I was used to it, and, in its own way, it gave me a certain stablity. I could stick with it. That Other which appears requires a big effort from me, it drives out a close friend who was me, who carried me. Loaded with memories, with different age strata, with watersheds and rebounds, the internal face inhabits me and anchors me in a present riven with changes, losses, passages, crises. It’s impossible to get hold of it in a tangible way. It’s made up of snapshots of faces which have become lodged in my memory, of dreamy, blurred images. The internal face is made up as much of physical realities as of involuntary detours.

Phantom faces that emerge, returning spirits  , GHoSTS of life as it passes by. Not a chronological stacking up of events but the revelation of an existence which questions life itself. François Jullien, at the start of his book Une seconde vie (A Second Life), imagines a character who is «  already well advanced in age  », standing in front of his window at first light, lost in his reveries  : «  Why do I go on living  ?  ». This question, no doubt an inevitable one at some point or another and which we have every right to ask ourselves, does not signify a pessimistic view of existence but puts its finger on what it really involves. We only have one life and it plays out from one act to another, from one hour to the next, from one situation to another, in an uninterrupted flow – sometimes without breathing, until all the possibilities are exhausted, until we are resigned to what has been achieved, to what has been overcome. Grand Corps Malade2 reminds us  : «  History can be rich. You mustn’t dawdle, you mustn’t cheat if you want to be intoxicated, to feel vertigo and excitement.»

The idea is to free oneself from being «  bogged down  » by the regularity of a life marked by habits and certainties. To step aside from living so as to enter into existing. Which is where real life lies.
GHoSTS is not an exercise in nostalgia. It recovers, selects and rebuilds the images of faces as if they were a deck of life’s cards. It grabs the essential in them and shapes them to form an existence constantly on the move. Franck Landron’s self-portraits  unfold in a subjective time scale where past and present, the different ages of life, history and memory advance together. They confront us. Let’s look at them from our own myriad faces, of those present, of those absent and those which they succeed in bringing back to us.



De l’intime aux précipités d’exister

texte Christine Delory-Momberger

Des visages. Des visages. Dans une traversée du temps, sur le fil de la vie. En précipités, en accélérés, en suspensions. En regards. En présences. Jamais les mêmes et toujours reconnaissables. Ils trament une histoire qu’il nous reste à comprendre. Ils ouvrent un espace de l’intime qu’il nous faut approcher. Dans le pli du sensible. Ces visages s’imposent à nous. Ils nous renvoient à notre propre visage, ils nous dé-visagent, nous inquiètent, nous émeuvent, nous remuent.
Qui sont-ils ? Un adolescent aux cheveux bouclés ouvre la galerie des autoportraits de Franck Landron. Il nous fait face, à l’aube d’une vie d’homme que Franck va dérouler dans une suite d’images présentées en diptyque, ponctuées de visages d’enfant. L’image d’après nous le montre le crâne rasé sur l’image de droite, un petit amas de cheveux sur l’image de gauche. Comme un rituel de passage. Il fallait franchir le seuil qui séparait l’adolescent de l’adulte qu’il allait devenir. Et il est là, sur l’image suivante, dans une puissance que seul donne l’âge, dans une assise, une tenue forgée par les expériences. L’adolescent près de lui détourne le regard, il n’est plus qu’un souvenir. Les variations floutées, altérées, griffurées du visage au crâne rasé vont et viennent et sont comme les hésitations qu’il y a à tracer son chemin dans les avancées auxquelles pousse la vie. Il faut pourtant y aller. Et viennent les premières images du photographe, en miroir sur la double page, tenant un de ses appareils. L’enfant fait signe, il rappelle son existence. Le temps qui passe n’efface pas sa trace. L’adolescent, l’adulte le gardent dans leur mémoire. Il continue à les hanter. On y voit aussi un jeune homme qui s’affirme, prend la pose, qui joue avec son image. Photographie démultipliée, reprise dans plusieurs variations parcourant tout le livre. Et qui nous dit, lorsqu’il tient un briquet allumé d’où sort une haute flamme, qu’il est surtout question de lumière dans sa vie. Un peu plus tard, une image coupée à la taille montre Franck avec son appareil. Elle se détache du reste, elle est la seule ainsi, il n’est plus seulement un visage, il est un corps qui va.
Plus tard, des visages étirés, allongés, dissemblants, comme reflétés dans les miroirs déformants accrochés aux parois du tunnel d’un train fantôme. Une mâchoire sertie des crocs de la mort effracte le déroulé des images, le met en suspension. Les cheveux ont une présence : touffus, crépus, taillés, rasés, sculptés, ils scandent les lentes transformations de l’être. De celles qu’on ne voit pas, qui sont silencieuses, insidieuses, continues. Et qui apparaissent d’un coup, au détour d’un regard prolongé dans une glace, à l’occasion d’un événement, au moment d’une déprise de routine.
Tous ces visages interrogent la question du même et de l’autre. Comment rester en lien avec un intime qui s’engouffre dans la fuite du temps ? Comment reconnaître le visage que l’on voit soudain reflété et qui vient bousculer, fracasser ce visage intérieur que l’on gardait en mémoire. Il rassurait, soit qu’il me plaisait, soit que je m’y étais habitué et, à sa façon, il me donnait une certaine stabilité. Je pouvais m’y tenir. L’autre qui m’apparaît me demande un effort, il déloge un intime qui me constituait, me portait. Chargé de souvenirs, des strates de l’âge, de tournants, de rebonds, le visage intérieur m’habite et m’ancre dans un présent traversé de changements, de disparitions, de passages, de crises. Il n’est pas saisissable de manière tangible. Il est fait d’instantanés de visages qui se sont fixés dans la mémoire, d’images rêvées, de floutés. Le visage intérieur est fait autant de réalités physiques que de détournements involontaires.
Visages fantômes, surgis, « revenus », GHoSTS de la vie qui va. Non pas un empilement chronologique mais un montré à voir d’une existence qui questionne le vivre. François Jullien, à l’entame de son livre Une seconde vie , imagine un personnage « déjà avancé dans la vie », debout au petit matin devant sa fenêtre et perdu dans ses rêveries : « Pourquoi est-ce que je continue à vivre ? ». Cette question, sans doute un jour ou l’autre inévitable et que l’on a le droit de se poser, ne renvoie pas à une vision pessimiste de l’existence mais met le doigt sur ce qu’elle suppose. Cette vie, nous n’en avons qu’une, et elle se joue d’acte en acte, d’heure en heure, de situation en situation, dans un flux ininterrompu – parfois sans respiration, jusqu’à l’épuisement des possibles, la résignation devant l’accompli, le traversé. Grand Corps Malade le rappelle : « L’histoire peut être riche. Faut pas que tu traînes, faut pas que tu triches. Pour t’offrir de l’ivresse, du vertige, de l’émotion . » Il s’agit de se dégager de l’« enlisement » que provoquent les rythmicités d’une vie balisée de certitudes et d’habitudes. De s’écarter du vivre pour entrer dans un exister. Là où est la vraie vie.
GHoSTS n’est pas une entreprise nostalgique. Elle reprend, trie, rebat les images des visages comme des cartes de la vie. Elle saisit en elles ce qu’il y d’essentiel et donne forme à un exister sur la brèche. Les autoportraits de Franck Landron se déplient dans un ordre subjectif du temps où s'avancent ensemble le passé et le présent, les âges de la vie, l’histoire et la mémoire. Ils nous font face. Regardons-les depuis nos multiples visages, les présents, les absents, et ceux qu’ils sauront faire resurgir en nous.


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