D'AGATA LIMITE(S)


Un film de Franck Landron

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D’AGATA
LIMITE(S)

Un film de Franck Landron


Il est certains films qui arrivent à point nommé et ANTOINE D’AGATA – LIMITE (S) de Franck Landron est certainement l’un de ceux-là. Il a été maintenant beaucoup dit, écrit, raconté sur Antoine d’Agata : des paroles portées par des regards éclairés, innervées dans la matière de l’œuvre ; des interviews qui scandent les avancées de son travail ; un livre d’entretiens qui fait figure d’archive et qui propose une parole originaire de l’artiste ; des ouvrages rassemblant des textes sur lui, des films lors de ses expositions et de la parution de ses livres… Tous ces mots, ces voix, ces images constituent une trame serrée qui tente de rendre compte de la production d’images d’Antoine d’Agata mais le flux de celle-ci est toujours plus fort, déferlant, essoufflant, il désaxe toute construction, la détourne dans une profusion de nouvelles images inouïes qui déroutent et emportent le regardeur – pour qui veut bien voir – au-delà de toute raison, de tout entendement.


Franck Landron a voulu procéder autrement pour son film, ne pas se livrer au commentaire, se lancer dans le rapide du courant, s’immerger, se laisser emporter sans rien prétendre d’autre que d’adhérer au réel du travail d’Antoine d’Agata. C’est ce qu’il lui répond lorsque celui-ci lui demande pourquoi il veut faire ce film. Il le suit là où il va, jusqu’aux bords du monde, dans une présence discrète, caméra à la main. Ce sont des heures et des heures de rushes que Franck Landron enchaîne, patiemment, sans rien hâter ni bâcler, il veut ce film au plus juste, au plus honnête, il mettra le temps qu’il faudra : cela a duré six ans.


Le film commence avec un bruit d’eau qui ruisselle comme une petite rivière souterraine, accompagnant de ses sonorités froides un accouplement sauvage ; puis le flux devient puissant, se transforme en un torrent vigoureux puis en une mer agitée, saturant l’écran de ses vagues sombres. La première partie du titre : ANTOINE D’AGATA s’affiche en lettres rouges sur fond noir, puis s’efface, et le visage du photographe apparaît, concentré, précis. Il cède à son tour la place et s’inscrit alors la seconde partie du titre : LIMITE(S). Entrée frontale dans ce qui fait la matière du film : montrer comment l’oeuvre d’Antoine d’Agata est le fait de l’engagement total d’un artiste dans un épuisement du monde ; comment ses images, armées de sa révolte, de sa colère, de sa conscience et de sa lucidité sont tramées dans du politique ; comment cette voie qu’il dit lui-même être sans issue est l’enjeu même de sa prise de position photographique et filmique et comment, butant sans cesse contre les limites du langage photographique, de sa position de photographe dans les mondes qu’il traverse, il tente de rendre compte de cet engrenage ; comment, face à l’absurdité d’une société où le pouvoir, la domination, la corruption et la marchandisation sous toutes leurs formes font loi, face aux vulnérabilités des marges, à la violence sans nom, il tient sa position que « n’est valide qu’un art nuisible, subversif, asocial, athéiste, érotique et immoral, antidote à l’infection spectaculaire qui neutralise les esprits et distille la mort », comme on a pu lire sur un des tracts posés à même le sol lors de l’installation «Anticorps» (2). La photographie est le medium artistique qu’Antoine d’Agata adopte pour maintenir un équilibre entre la conscience de ses propres peurs et l’exorcisation de ses démons intimes. Il dit qu’il n’imagine plus la vie sans sa reconstruction photographique, devenue une condition, une justification, une preuve et une matérialisation de ses choix d’existence. Il y fait aussi l’épreuve de la confrontation des corps : comment s’abîmer dans le corps de l’autre, s’en saisir et s’y confondre, comment s’y dissoudre et faire surgir son caractère illimité ? La bouche d’où sort le cri de la jouissance, de la douleur, de la désespérance rejoint la géographie subtile d’un humain aux prises avec un monde qui use ses vivants. Antoine d’Agata envoie en éclaireur son double hypothétique, A, un personnage de fiction dont l’existence virtuelle lui a permis de se décharger de poids de sa responsabilité, de son remords, de sa culpabilité. La fonction de A est d’agir au-delà de lui-même, il lui force la main, il le pousse à aller plus loin qu’il ne le ferait lui. L’un et l’autre ont des existences couplées, où l’un pousse l’autre qui dicte, prescrit des protocoles qui sont ensuite déconstruits, où l’un vit dans un accomplissement de l’autre, où l’un ne peut exister sans la virtualité de l’autre. Gémellité contrainte, nécessaire, qui se joue et se rejoue dans la suite, l’enchevêtrement, le désordre, l’accumulation d’expériences extrêmes, provoquées, vécues. A descelle les limites, les repousse, les annihile le temps d’une ivresse du corps, d’un étourdissement de l’esprit, celles-ci reviennent en force, plus violentes encore, et il faut repartir, aller jusqu’au bout d’un ailleurs sans fond, parce que – Antoine d’Agata le dit dans le film – « la drogue, la défonce ne résout rient, n’aide ni à s’en sortir, ni à aller au-delà, elle alimente ce vide, il n’est pas à dépasser, ni à annuler, il m’est utile, il fait partie, c’est ma matière ». Et c’est là le vrai courage d’un artiste qui ne cesse d’affronter ses peurs, qui s’y confronte, leur fait face et qui fait de son art une oeuvre de vie alors que la vie lui importe plus que l’art.


Il y a tout cela dans ce film qui n’est ni un documentaire au sens classique ni un récit de parcours. Y alternent des scènes captées dans le vif de l’action que Franck Landron a filmées au plus près sans jamais être intrusif, en restant à la bonne distance ; des rendus d’expositions et d’installations avec leurs visiteurs ; des photographies, des paroles d’Antoine d’Agata et de courts fragments de ses films projetés comme des flashs ; des témoignages de ses compagnons de route, d’éditeurs, de galeristes, de commissaires d’exposition, de journalistes, de photographes qui le côtoient ou qui l’ont côtoyé ; des paysages, des routes allant vers l’infini, des forêts la nuit aux arbres incandescents de lumière. Une bande où on peut lire « Antoine est sorti d’un tableau de Jérôme Bosch pour éclairer le monde à la lampe électrique » traverse à ce moment-là l’écran. Toutes ces images, tous ces mots mêlent leurs reflets et leurs sons et font du film une chambre d’écho aux murs recouverts de miroirs où se profilent, apparaissent, disparaissent les figures tremblées, floutées jusqu’à l’évanescence, embrasées, saccadées, contourées de l’artiste. Le spectateur est laissé libre d’y frayer sa voie de compréhension. Franck Landron n’explique pas, ne raconte pas, il fait voir ce qu’il a vu et fait entendre ce qu’il a entendu. Ce film est tactile, il incite à un toucher des sens et de la conscience, à un éveil politique de ce que peut être et faire l’art.


Dix ans passés dans la rue, la période punk, l’errance, la drogue ; Debord, Bataille, Artaud, les voyages en Amérique latine, New York et les rencontres décisives avec Nan Goldin et Larry Clark ; trente ans de photographie : « quinze années où je n’étais rien et quinze années où je voulais continuer à n’être rien mais où j’avais besoin de la photographie pour continuer à faire ce que je faisais, ce que je vivais et depuis trente ans je m’évertue à être, à faire, à exister à travers ce que je fais ». Et toujours la révolte, la rage, la colère. Antoine d’Agata ne cesse d’être au travail dans une production de plus en plus vertigineuse d’images, d’écrits – car il écrit aussi –, de livres d’artiste, de films. À la fin du film de Franck Landron, il est étendu dans une barque qui file le long d’un fleuve étale dans un pays d’Asie, la tête dépassant l’embarcation et à moitié tournée vers l’eau : il s’en va."

Christine Delory-Momberger






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Entretien avec Franck Landron

Pourquoi un film sur Antoine d’Agata?
En janvier 77, j’avais 20 ans, la fanfare des Beaux-Arts dont je faisais partie, avait été payée pour jouer au vernissage d’une exposition de peinture à la galerie Claude Bernard, rue des Beaux-Arts. Il y avait là un type qui était complètement bourré... Il réussissait cependant à continuer à se faire servir... Un anglais sympa... On a passé la soirée à boire des coups avec lui. On a fini comme souvent à quatre heures du matin à la Rhumerie, fracassés. Le lendemain, je suis allé voir les tableaux. Un des portraits ressemblait au type avec qui j’avais picolé toute la nuit. C’est comme ça que j ‘ai rencontré Francis Bacon. Depuis l’âge de treize ans j’ ai toujours mon appareil photo avec moi.. Ce soir là, je ne l’avais pas. C’était ma première rencontre avec un vrai artiste... C’est sans doute pour ça que j’ai fait LIMITE(S).

Antoine d’Agata est une autre personnalité que Francis Bacon.
Oui, mais l’un comme l’autre ne supporte pas les vernissages...

Comment avez-vous rencontré Antoine d’Agata ?
J’ai vu les premières photos d’Antoine d’Agata à la librairie-galerie « À la librairie », impasse Guéménée, à Paris, puis dans une exposition à la galerie VU’ avec des images plus «baconiennes». J’ai ressenti une fascination plastique, et puis je me sentais proche du monde qu’il donnait à voir, avec le sexe, la nuit... Je l’ai rencontré personnellement à «Paris Photo», lors de signatures de livres... La photo de l’affiche du film est d’ailleurs une photo que j’ai faite la première fois que je l’ai vu. Mais, j’ai d’abord rencontré son travail, ses livres, ses photos. J’avais envie d’en savoir plus. J’ ai mis trois ans à me décider à faire un stage à Arles avec lui. Je lui ai montré mon travail intitulé «EX TIME». C’était une manière de l’aborder, d’apprivoiser mon appréhension car je ne savais pas encore comment m’y prendre. J’ai commencé un peu le à filmer pour qu’il s’habitue à me voir le filmer. Dans les expositions, dans les conférences. Au bout d’un moment, je lui ai dit : « Écoute, je commence à avoir pas mal d’images, si on veut aller plus loin et faire un film, il faut que je puisse t’accompagner dans un voyage ». Et là, il m’a proposé de venir avec lui en Grèce et j’ai filmé un morceau de ce qui deviendra «Odyssea», un travail sur les migrants.

Il y a eu aussi certainement tout un travail de documentation avant de commencer le film ?
J’ai cherché tous les livres, les revues, les articles, tout ce que je pouvais trouver sur Internet, les images d’archives (notamment celles de l’INA). J’ai trouvé des petites publications comme La frontera, et j’ai récupéré des catalogues d’expos au Japon, etc... Antoine d’Agata a fait plus de cinquante livres. J’ai lu la totalité de ses textes mais aussi les auteurs qui sont ses références : Sade, Bataille, Conrad, Debord...

Ce film a une écriture singulière. Pourriez-vous parler de sa construction ?
Cela a été un travail de longue haleine qui a duré six ans. J’ai suivi Antoine d’Agata dans ses mouvements, ses voyages. C’est son « faire » qui m’intéressait, comment il était au travail. Je ne crois pas trop au dicours. Mais plus à l’action. Après la Grèce, j’ai fait un premier montage que je lui ai montré, il a un peu regardé mais pas trop, et là il a dit qu’il allait tourner sur les parkings Vinci, suite à une commande du BAL. Quand on réalise un portrait, il faut qu’il y ait des échanges sinon cela ne marche pas. Si on ne fait que prendre, ça ne marche pas, il y a un déséquilibre... Antoine d’Agata avait besoin de louer une voiture pour ce travail, je lui ai alors proposé de le conduire avec la mienne et on a fait 3 000 kilomètres ensemble. Quand on tournait en Grèce, il fallait être très léger et faire tout le temps attention à ne pas gêner parce qu’il y avait les migrants. Je ne pouvais pas débarquer avec une grosse caméra, mais sur les parkings Vinci, il n’y avait personne, je pouvais prendre une caméra plus lourde, utiliser une technique différente, chercher des correspondances visuelles. Mais ma préoccupation principale était de ne pas gêner son travail, me faire oublier le plus possible, être juste là, prendre des images et si possible l’aider. Quand il a fait «Atlas» et «White noise», je lui ai prêté un banc de montage, ainsi on se voyait et on pouvait continuer à discuter.
La narration ne pouvait pas prendre une forme traditionnelle du documentaire télé avec commentaires. Cela simplifie tout, mais rend la narration tellement pauvre. C’est alors que j’ai repensé au film «Citizen Kane» que j’ai vu au moins une bonne vingtaine de fois. Un vieil homme meurt seul dans son immense forteresse de Xanadu après avoir dit un mot qui reste énigmatique : « Rosebud ». Il était très fortuné, propriétaire de quantité de journaux, grand collectionneur d’art. Sa vie intrigue un directeur d’agence qui demande à un de ses journalistes de mener une enquête pour connaître la signification du dernier mot prononcé par Kane. J’ai eu envie de reprendre cette structure que je trouvais adaptée car, moi aussi, je menais une enquête et mon «rosebud», c’était « Qu’est-ce que la création ? Qu’est-ce que c’est qu’un artiste comme Antoine d’Agata ? ». J’ai voulu rencontrer les personnes qui ont traversé et traversent son parcours et que chacun me parle de lui. Ce sont souvent des interviews longues dont je n’ai gardé que deux ou trois minutes. Ensuite, pour que ces interviews ne soient pas plaquées, je les ai montées dans une dynamique de champ-contre-champ pour donner l’impression d’un dialogue. Pour arriver à une forme de simplicité, il fallait être très précis : pourquoi cette image à côté de cette image, etc.
J’ai récupéré le plus possible de paroles d’Antoine, filmé les conférences de presse pour qu’on l’entendre parler. Dans le film, j’ai pixellisé ces parties, j’ai filmé Antoine de dos pour rendre cette parole fantomatique, que le spectateur ne se fixe pas sur son image. Qu’il l’écoute et que la parole prenne le devant.
Il y une centaine d’heures de rushes et plus de vingt semaines de montage. J’ai fait un premier montage, puis un autre et enfin un troisième parce qu’à chaque fois, il y avait des couches de montage qui venaient s’ajouter. Il fallait intégrer les nouveaux tournages, son projet sur les migrants, les parkings Vinci - qui est un renouveau plastique - et chercher ce qu’il manquait : le Cambodge. Cela demandait à chaque fois une remise en forme générale. Cela prenait du temps, il fallait aussi que les dates coïncident pour que je puisse l’accompagner pour le filmer, je devais également m’arrêter pendant certaines périodes pour gagner de l’argent... Et pouvoir continuer le film.

Quelles contraintes de tournage Antoine d’Agata vous a données ?
La limite donnée était de ne pas reproduire la même chose que ce qu’il fait dans son travail. Je n’allais pas par exemple le filmer avec des prostituées.
C’était trouver la bonne distance et pour cela prendre le temps de s’apprivoiser. Le deal qu’on avait, c’est que je lui montrerais le montage final et c’est lui qui aurait le «final cut». Je ne faisais pas un film à côté de lui mais un film avec lui, pour montrer comment il travaillait.

Le tournage a-t-il fait évoluer votre perception du travail d’Antoine d’Agata et plus généralement de la photographie ?
Quand j’ai commencé le film, j’avais une vision très plasticienne de sa photographie. Je ressentais surtout les images en noir et blanc de la première période au Mexique et ensuite les images couleur très «baconniennes» des prostituées. La dimension politique m’est véritablement apparue avec Manifeste et Psychogéographie, c’est aussi avec ces deux livres qu’arrivent des écrits où il mêle d’abord des textes de ses auteurs de référence à ses propres textes, puis en écrivant seul. Le travail photographique d’Antoine d’Agata est maintenant aux antipodes de ce qu’il faisait auparavant. Il apporte quelque chose d’essentiel en signifiant que, sans un point de vue politique, on reste dans une photographie plasticienne qui va tourner en rond très vite. La seule issue, c’est de dépasser cela en allant chercher en soi une humanité qui rejoint une humanité globale. J’ai voulu faire ressortir cela dans mon film.
Et c’est ce que je recherche désormais dans la photographie, dans celle qui m’intéresse et dans celle que je fais.

Exposition «S’il y a lieu, je pars avec vous» au BAL (avec Sophie Calle, Julien Magre, Stéphane Couturier, Alain Bublex, Antoine d’Agata) et livre aux éditions Xavier Barral, 2014.
Index, d.books/André Frère Editions.




D’AGATA
LIMITE(S)

Un film de Franck Landron

AU CINEMA LE 27 MARS 2019

Musique originale / Martin Wheeler
Musique additionnnelle / La Cave
Son / Sammy Nekib et Dominique Dindinaud
Montage / Linda Attab
Image / Franck Landron
Production / Les Films en Hiver

Durée / 1h19 Image / 1.85 Son / 5.1

« D’AGATA - LIMITE(S) » a été sélectionné pour le Festival DocFeed 2019,
Eindhoven, Pays-Bas, 21-24 février 2019






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